mardi 10 septembre 2019

Oui mais enfin comment cela marche ? Pourquoi je sens de l'ortie de la Montagne Saint-Pierre ? - Petite introduction a notre ressenti olfactif et gustatif des spiritueux qui nous plaisent tant.



Cela fait déjà un petit temps que j’ai eu le plaisir de lire le livre de Richard Pfister intitulé « Les parfums du vin». Bon on s’écarte légèrement des mon domaine de prédilection que sont les spiritueux mais au final pas tant que cela puisque cela parle d’arôme, d’odeur bref de sensations lors de la dégustation. C’est avec l’accord de son auteur que je me permet ici de résumer certaines parties de cet ouvrage ainsi que mes réflexions, mes interpolations au monde des spiritueux et plus spécifiquement du rhum.

Et quand on voit les foires d’empoigne récentes concernant certaines notes de dégustations, il me semble utile de comprendre mieux comment et pourquoi, on ressent certaines odeurs et certains arômes et pourquoi certains nous sont plus agréables que d’autres.

D’abord une succincte présentation de l’auteur telle qu’elle se trouve sur le site de l’éditeur : Richard Pfister est ingénieur en œnologie et viticulture. Il dispense des formations en analyse sensorielle et prodigue des conseils en expression aromatique des vins. Cet ouvrage a été conçu d'après la classification des vins créée par lui-même en collaboration avec l'Ecole d'ingénieurs œnologues de Changins (Suisse), qui rayonne dans l'Europe entière.

Odeurs et arômes

D’abord, définissons les deux notions centrales que sont les odeurs et les arômes. L’odeur se sent par olfaction directe et l’arôme est perçu via la rétro-olfaction donc en bouche. Le terme arôme ne devrait être utilisé que lorsque les odeurs passent par notre bouche. Les arômes sont des odeurs mais les odeurs ne sont pas forcément des arômes. Un petit rappel succinct aussi est nécessaire pour rappeler que notre goût est relativement basique, on ne ressent sur la langue que les sensations de sucré, salé, amer et acide. Bref le goût ne nous permet pas de définir très précisément un vin ou un spiritueux. Ce que l’on nomme le nez est l’odeur ressentie par olfaction directe et ce que l’on nomme la bouche est un peu impacté par le sens du goût mais beaucoup par les arômes perçus en rétro-olfaction. La finale n’étant que l’évolution de cette sensation. Donc odeurs et arômes ont un rôle central dans notre appréciation d’un vin ou d’un spiritueux.

La naissance des odeurs

Les molécules des futures odeurs, naissent en premier lieu de la matière première, raisin pour le vin. Mais cette matière première est liée intimement à son environnement, à travers le sol qui fournit l’eau et les éléments minéraux, à travers l’air, à travers le soleil et la photosynthèse.

Ensuite viens l’extraction qui fait passer ces molécules aromatiques vers le moût pour ensuite passer à l’étape de la fermentation. Les levures, transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique et produisent des molécules aromatiques qui vont s'ajouter à celles déjà présentes dans le jus. S’en suit l’action des bactéries et donc la fermentation malolactique qui amène encore d’autres profils aromatiques.

Enfin le vieillissement de par les interactions avec le bois ajoute aussi une couche supplémentaire de molécules aromatiques

L’analogie vers le monde des spiritueux et particulièrement le rhum est assez facile à amener.
La matière première est d’importance, on voit la mise en valeur de la variété de canne utilisée et la présence de nombreuses expressions mono-variétale comme les cannes bleues ou rouges. Les interactions avec l’environnement sont traduites dans le monde du rhum par de nombreuses expressions parcellaires comme par exemple les différents parcellaires de chez Longueteau.

L’étape de l’extraction est à nouveau similaire puisque la canne est broyée additionnée souvent d’eau ce qui transmet une grande partie des composants aromatiques vers le jus.

Nous éluderons ici la dichotomie entre rhum de pur jus et rhum de mélasse en ne sous-estimant pas la transformation moléculaire subie lors du chauffage et du processus d’extraction du sucre. Nous essayerons d’y revenir lors d’un autre article.

L’étape de fermentation est aussi comparable avec la production de composés aromatiques.

La distillation est une étape supplémentaire pour les spiritueux, il y a bien sûr concentration des arômes déjà présent après la fermentation mais le chauffage, le processus de distillation avec entre autre l’interaction avec l’alambic amène d’autres réactions chimiques et produit d’autres composés aromatiques.

Enfin le vieillissement et l’interaction avec le bois est comparable à celui du vin même si le degré alcoolique plus élevé à surement une influence.

Les trois types d’odeur selon l’origine

Une façon de différencier les odeurs est selon leurs origines.

Les odeurs primaires proviennent directement de la matière première donc du type de cépage mais aussi des interactions avec son environnement, la maturité du raisin…

Les odeurs secondaires sont liées à la vinification.

Les odeurs tertiaires se développent au cours de l’élevage.

Ici aussi l’analogie est facilement appliquée au spiritueux avec les odeurs secondaires liées à l’extraction, la fermentation et la distillation.

Des odeurs complexes

Rentrons dans le coeur du sujet, qu’est ce qu’une odeur ?

Une odeur est constituée d’une ou plusieurs molécules, parfois plusieurs centaines.
Lorsque l’on reconnaît par exemple une odeur de rose dans un vin cela ne signifie pas qu’il y ait de la rose dans le vin mais que l’on a repéré une ou plusieurs molécules présentes dans l’odeur de rose et cela nous fait par analogie penser à la rose. Bref toutes les odeurs que l’on sent dans un vin ne sont jamais parfaitement identique à celles de la nature. Seule une analogie de quelques molécules entraîne notre cerveau à associer le ressenti avec une expérience précédente et donc mettre un nom connu sur cette sensation.



Ce qui influence la description des odeurs

Les facteurs physiologiques

  • L’adaptation : Si on est constamment exposé à un stimulus, durant une longue période, la sensibilité à ce stimulus diminue
  • La relation entre certaines odeurs : certaines odeurs en rehaussent d’autres, peuvent les annuler voir entrent en synergie pour augmenter leurs intensités respectives.  

Les facteurs psychologiques

  • L’erreur préconçue : connaître ce que l’on déguste amène à s’attendre à trouver certains marqueurs que l’on risque de détecter même s’ils ne sont pas présents. La dégustation à l’aveugle est une solution pour éviter ce biais.
  • L’erreur d’habitude :  Selon l’ordre du line-up souvent croissant en intensité, inconsciemment, on s’attend que la dégustation suivante soit plus haute en intensité. Si ce n’est pas le cas, notre cerveau surestime souvent cette intensité pour la mettre en accord avec la progression du line-up.
  • L’erreur de stimulus : Certaines couleurs par exemple nous entraînent parfois vers des conclusions en ce qui concerne les odeurs associées. Ce n’est bien entendu pas toujours le cas.
  • L’ordre du line-up : 
    • Contraste avec la dégustation précédente
    • Effet de groupe comme par exemple sous-estimer une évaluation si le line-up est de haut niveau
    • L’erreur de centralisation : les dégustations du milieu du line-up sont souvent surévaluée
    • Le biais de position : le premier du line-up est souvent soit sur-évalué ou sous-évalué par manque de repères, le dernier aussi dû au nombre de dégustation et à la fatigue.
  • La suggestion mutuelle : La réponse est influencée par celle des autres dégustateurs. Même si rien n’est dit, le non-verbal peut influencer.
  • Le manque de motivation, l’humeur, les émotions du moment influencent aussi la description
  • La timidité : Certains n'oseront pas sortir des sentiers battus pour éviter les jugements des autres dégustateurs.

Comment perçoit-on une odeur ?

Pour qu’une substance soit perceptible, il faut bien entendu qu’elle soit volatile mais aussi suffisamment soluble dans le mucus pour atteindre et se lier à un récepteur olfactif.

Pour les geek, un petit schéma résumé de la chose qui est juste là pour démontrer que c'est toujours encore plus compliqué que ce que l'on a envisagé...même en tenant compte de ce principe. Retenez juste que la molécule doit être volatile pour arriver jusqu'à votre nez et soluble pour pouvoir accéder aux récepteurs olfactifs.



Les neuroépithélium de deux individus n’étant pas exactement identique, il est possible que deux individus sentant le même objet, ne sentent pas exactement la même odeur. On comprend donc pourquoi les descriptions des dégustations ne sont jamais semblables même si certains termes ou expressions proches se recoupent.

Toutes les molécules ne sont pas forcément odorantes mais environs 400.000 devraient pouvoir être senties, bien trop pour parvenir à toutes les mémoriser. La taille compte aussi pour la molécule ainsi que sa flexibilité afin d’entrer en contact avec plusieurs récepteurs et donc être plus facilement reconnue.

L’intensité et la détection des odeurs est aussi interdépendante. Selon que la concentration d’une molécule est plus ou moins forte, l’odeur ressentie peut être différente. Par exemple l’odeur de truffe peut être facilement interprétée comme celle de choux si la concentration diminue.

La perception des odeurs mettant en oeuvre plusieurs molécules est un autre champs d’investigation à envisager.

Comprendre les autres dégustateurs

Les exemples d’odeurs pouvant se ressembler sont légions. Ces odeurs sont surtout déterminées par les molécules principales. Par exemple le gingembre et la citronnelle sont cités comme ressemblants car ils contiennent tous deux la molécule du géraniol.
Cela permet de comprendre pourquoi quand un dégustateur perçoit du gingembre, l’autre percevra de la citronnelle. Ils sentent la même chose (le géraniol) et l’expriment différemment.






Ce qui me fait revenir sur le corps de ce livre qui reprend les principales odeurs du vin (mais on en retrouve beaucoup intervenant dans les spiritueux), divisée en 10 grandes dominantes (j’y reviendrai certainement un jour).


Mais surtout, chaque odeur est décrites avec les composantes moléculaires odorantes principales et avec les odeurs proches. Bref un monde aromatique qui s'ouvre et qui permet de comprendre un peu mieux pourquoi notre cerveau en arrive à certaine conclusions aromatiques.

C’est bien beau de reconnaître les odeurs mais qu’est ce qui détermine que c’est bon ou pas.

On s’écarte légèrement du livre pour tenter de déterminer pourquoi à partir d’une somme comparable de sensations odeurs, arômes, on en arrive à aimer ou ne pas aimer un breuvage. On peut certes arriver à des compromis en ce qui concerne l’intensité, la complexité d’un breuvage mais comment expliquer que certains aiment alors que d’autres détestent certains rhum comme les high-ester jamaïcain ou encore les Caroni de Trinidad.

Là encore plus que pour la perception des odeurs, le vécu individuel est primordial. Si de bons souvenirs sont associés à une odeur, notre appréciation sera positive et inversement.

Cela peut évoluer bien sûr et des sensations qui n’étaient pas spécialement agréables peuvent le devenir avec ici aussi un risque élevé de biais.

  • L’évaluation de ses paires : si dans un groupe les leaders aiment quelque chose, très vite, l’ensemble du groupe en arrive à évaluer positivement cette même chose.
  • L’habitude : déguster souvent des produits très intenses en arrive à les rendre plus agréables.
Ici encore, le champs d’interrogation et de recherche est vaste.

Je voudrais conclure doublement ces réflexions

La première conclusion concerne ce livre qui met en relation la chimie des odeurs avec les ressentis des dégustateurs. Je ne peux que le conseiller à tous les dégustateurs un peu curieux de comprendre le fonctionnement de notre nez et de notre ressenti des arômes.
Les parfums du vin
Sentir et comprendre le vin
Par Richard Pfister
Editions Delachaux et Niestlé

Ma seconde conclusion est que la physiologie de l’odorat est quelque chose de complexe, souvent individuel et où la vérité est toute relative. Les débats interminables et agressifs sur ce qui est bon et ce qui ne l’est pas me semblent inutiles et vains. Respectons les ressentis de chacun et si nous trouvons un partenaire de dégustations dont les ressentis sont comparables, acceptons juste la chance de le côtoyer (hein Jérôme !). Il est à mon sens illusoire de rechercher une évaluation universelle des spiritueux tant la neurologie de chacun est différente. Une évaluation ne peut donc être que personnelle. Ce n’est surtout pas une excuse pour ne pas partager ses ressentis que du contraire mais c’est un plaidoyer à l’ouverture d’esprit et que si votre voisin sent du gingembre quand vous sentez de la citronnelle, ce n’est pas très grave et si lui il aime cela et vous pas c’est encore moins grave. Donc goûtez, soyez curieux, faites-vous votre propre avis plutôt que d’écouter les sois-disant gourous qui n’ont de toute façon pas le même ressenti que vous. Ne soyez pas les esclaves des notes d'évaluation qui se trouvent à foison désormais mais créez vous votre propre référent sur ce que vous aimez et surtout ne soyez pas trop influencé par ce qui est à la mode ou hype d’apprécier..

Cet article ouvre aussi pas mal de questions à approfondir. Comme le sujet m’intéresse et est au final assez peu couvert, j’envisage de poursuivre mes recherches et de les partager avec vous. Si le sujet vous intéresse n’hésitez pas à vous manifester et si vous avez des infos n’hésitez pas à les partager avec moi.